MON AMI LA FONTAINE

 

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Par-delà le désespoir, La Fontaine

 

 

 

 

Une pièce de théâtre revient sur le cruel destin du surintendant Fouquet et son amitié avec La Fontaine. Elle a ému Gabriel Matzneff.

Par Gabriel Matzneff

 

Publié le 23/10/2018 à 18:45 | Le Point.fr

 

On me dit que les critiques dramatiques du Figaro et de Télérama ont parlé sur un ton condescendant, dédaigneux de la pièce écrite et jouée par Philippe Murgier qui se joue présentement au Théâtre 14, Mon ami La Fontaine.

N'étant pas critique dramatique, mais simple amateur, je n'ai aucune gêne à dire le plaisir, l'émotion que j'ai éprouvés à voir cette belle pièce sur Fouquet, sur la cruelle prison à laquelle Louis XIV le condamna, sur la tendre lumière que les Fables de La Fontaine sont capables de diffuser dans un cœur sensible.

Lire aussi 5 septembre 1661. Le jour où Nicolas Fouquet est arrêté par d'Artagnan

 

La souffrance, le courage, les livres comme antidote au désespoir, tel est le sujet de la pièce de Philippe Murgier. Louis XIV ne condamna pas seulement Fouquet à mourir comme un rat dans son trou, mais il lui interdit simultanément le papier, la plume, la lecture. Mon ami La Fontaine, c'est l'irruption dans la vie de l'infortuné Fouquet du recueil de fables que vient de publier son fidèle ami La Fontaine et que celui-ci a pu lui faire parvenir clandestinement.

Durant la représentation, je n'ai pas cessé un instant à songer aux larmes de joie qu'un de mes amis, jeune peintre russe, n'avait pu, au printemps 1967, s'empêcher de verser lorsque dans un café, à Moscou, je lui avais passé sous la table, enveloppé dans du papier journal, un livre de Berdiaeff, philosophe dont l'œuvre et le nom étaient frappés d'anathème sous le régime totalitaire soviétique. J'ai pensé aussi à Jean-Paul Kauffmannqui, dans l'horrible cachot où le djihad islamique le tint enchaîné pendant de longues années, puisa la force de survivre dans la lecture des quelques livres qui, par miracle, étaient en sa possession, La Bible, SartreGuerre et paix de Tolstoï.

Par une heureuse coïncidence, quelques jours après la soirée au Théâtre 14, je reçois au courrier la nouvelle édition d'un livre de Pierre Boutang depuis longtemps épuisé : La Fontaine politique, aux éditions Les Provinciales. C'est assurément un des plus beaux essais de Boutang, qui mettait La Fontaine au-dessus de Racine ; qui en avait fait un de ses deux auteurs de chevet, l'autre étant Dante.

Saint Augustin au-dessus de tout 

Si j'ai un conseil à vous donner, c'est : 1. de vous précipiter au Théâtre 14 voir la pièce de Philippe Murgier ; 2. de vous précipiter chez votre libraire pour acheter le livre de Boutang.

Sur la place qu'occupent les animaux sur notre bonne vieille Terre, dans nos vies, nous avons ces derniers temps, à l'occasion de raids punitifs de quelques végétaliens contre des boucheries, des poissonneries et même des crémeries, entendu bien des choses. À ces excessifs militants, La Fontaine conseillerait d'avaler quelques grains d'ellébore ; et moi, je leur conseille la lecture des Fables de La Fontaine, du La Fontaine de Pierre Boutang.

Ce fut précisément Pierre Boutang qui, j'étais très jeune, m'offrit un livre qui aujourd'hui encore constitue un des joyaux de ma petite bibliothèque : les Confessions de saint Augustin dans la belle traduction des Messieurs de Port-Royal, d'Arnaud d'Andilly pour la précision. Eh bien, en cette veille de la fête de Tous les Saints, je désire offrir à nos lecteurs, ceux qui mangent de la viande et ceux qui n'en mangent pas, ces quelques lignes d'Augustin. Elles sont propres à les pacifier, les uns et les autres :

 

« Je ne crains pas qu'il y ait de l'impureté dans les viandes, mais j'appréhende l'impureté de la gourmandise. Je sais qu'Élie mangea de la chair, et que saint Jean dans son admirable abstinence n'a pas été souillé pour avoir mangé des sauterelles. Je sais au contraire qu'Ésaü perdit son droit d'aînesse pour avoir mangé des lentilles ; et que David s'est accusé d'avoir désiré de boire de l'eau ; et que Jésus-Christ, qui est notre Roi, n'a pas été tenté avec de la chair, mais avec du pain. »